Parution de l'article Paradoxes (inter)institutionnels et cliniques de l’action dans le service social scolaire d’une collectivité territoriale

  Introduction et conclusion de

Paradoxes (inter)institutionnels et cliniques de l’action
dans le service social scolaire d’une collectivité territoriale

par Gilles Garcia[1], Corinne Rougerie[2], Pascal Fugier[3] et Philippe Lyet[4]

 

Article pour le n° 30 de la Nouvelle Revue de Psychosociologie
L’institution revisitée, actualité de la recherche et de l’intervention

pages 141-154

 

Introduction

Cet article rend compte d’une recherche-intervention (RI) récente conduite par le centre de recherche de l’école supérieure de travail social (Paris) et le laboratoire EMA de CY Cergy Paris Université au sein du service social « scolaire » (SSS) du Centre communal d’action sociale (CCAS) d’une municipalité française, dont une part importante de l’activité se déroule à l’intérieur des écoles primaires de la commune. Cette RI permet d’interroger les paradoxes institutionnels de l’intervention de ce service qui ne peut se déployer que par une forme d’invisibilisation de ses activités et modes opératoires tout en en pâtissant.

Cette tension paradoxale renvoie notamment aux contradictions dans lesquelles se situe l’institution face à ce service qu’elle promeut tout en en interrogeant la pertinence et la légitimité. Ne faisant pas partie des compétences obligatoires d’une commune, ce service procède d’une démarche volontariste assez ancienne (années 1980) pour répondre à un problème social que les répartitions institutionnelles des compétences en matière sociale laissaient de côté à l’époque, et encore largement aujourd’hui : celui de l’accompagnement des familles en situation de vulnérabilité (Châtel et Roy, 2008) face aux enjeux scolaires et éducatifs durant l’école primaire.

Ce problème recoupe les interventions d’autres institutions voire d’autres services de cette collectivité qui déploient d’autres logiques d’action. Ce qui les amène à ne pas identifier, comprendre et traiter le problème de manières convergentes.  Cet article illustre un des défis des institutions : définir leurs objets et leurs logiques quand cette définition se heurte à la concurrence d’autres constructions sociales et politiques qui génèrent des interférences et des paradoxes qui, par rétroaction, rendent incertaine l’intervention des agents, ici les TSS.

La première partie de cet article analysera l’« invisibilité observable » du service social scolaire. Dans la deuxième partie, un focus sur les équipes éducatives[5] interrogera le rôle du travailleur social scolaire comme clinicien du partenariat institutionnel. La troisième et dernière analyse reviendra sur le dispositif pour en proposer une présentation sous un angle clinique.

 

Conclusion

Les équipes éducatives illustrent bien la complexité et la difficulté de l’intervention des TSS. Par l’analyse de ce qui se joue et se passe dans ces réunions et autour d’elles (avant, après, dans l’école et hors de l’école, etc.) se révèle cette injonction paradoxale en mille feuilles dans laquelle ils se retrouvent parfois piégés : ils ne peuvent agir sur certaines dimensions qu’en endossant une part invisible de leur action, alors qu’ils auraient besoin que celle-ci soit assumée plus nettement par les différents acteurs et, de ce fait, rendue visible par les institutions. Reste à savoir sur quel plan : imaginaire ou symbolique ? De fait, nous avons pu observer les effets de reconnaissances imaginaires dès lors que le TSS est bien présent à chaque « équipe éducative ».

Au bout de la chaine décisionnelle, il revient aux intervenants éducatifs et sociaux de transiger entre les différentes exigences des actions qu’ils conduisent en parallèle. Cela pourrait être perçu et compris comme une forme de désinstitutionnalisation (Aballea, 2012), alors que nous sommes plutôt face à un évidement de l’institution qui se bureaucratise dans une attente d’actions chiffrées et visibles. Mais ne nous y trompons pas : les tensions, paradoxes que doivent assumer les professionnels de front office sont bien la traduction, à leur niveau et dans leur registre d’action, de ce que deviennent les institutions dans les « mondes incertains » et les « sociétés hybrides » : des espaces où l’action ne se réalise pas dans le déploiement d’un « programme institutionnel » descendant (Dubet, 2002) mais dans les ajustements entre logiques diverses à opérer au niveau des situations singulières, dans une véritable « clinique de l’action » qui ne peut se décrire qu’en termes qualitatifs.

Cette polymorphie du TSS tourne néanmoins autour d’une place de tiers : passeur, traducteur, courroie de transmission, « poubelle »... Mais cela peut s’avérer coûteux, lorsque « ce » tiers est en mal d’« un » tiers. Ce qui n’est pas sans révéler la fonction tierce exercée par le dispositif de la Recherche-Intervention : en constituant cet espace dans lequel les TSS sont venus déposer, mettre en mot leurs expériences vécues de travail. Et en « venant entre » chaque TSS ainsi qu’entre les TSS et l’encadrement du CCAS et ses partenaires institutionnels.

 



[1] Chercheur au centre de recherche de l’Etsup, Paris

[2] Enseignante-Chercheure contractuelle, laboratoire EMA, CY Cergy Paris université

[3] Maitre de conférences, laboratoire EMA, CY Cergy Paris université

[4] Chercheur associé au laboratoire EMA, CY Cergy Paris université, GIS Hybrida-IS

[5] Celles-ci rassemblent plusieurs professionnels de l’éducation nationale et le TSS pour travailler sur des situations d’enfants, elles constituent un des cœurs de l’activité du SSS puisque, d’une part, le demandeur est l’école et, d’autre part, l’enfant et la famille en sont les bénéficiaires.

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