Conférence de P. Lyet : Quelles leçons tirer du confinement en termes d'innovation ?

Vidéo de la conclusion de la conférence (6 mn)

Accédez par ce lien à la totalité de la Conférence d'ouverture de la saison des expérimentations et des innovations solidaires du campus des solidarités (Askoria Bretagne) le 19 novembre 2020, accessible en vidéo et en PDF : Entre situation exceptionnelle et invention permanente : quelle leçons tirer du confinement ?

Résumé de la conférence

Au sortir du confinement du printemps, beaucoup témoignent que celui-ci les a à la fois empêchés de réaliser certaines dimensions de leur projet et qu’il a ouvert de nouveaux possibles. Il nait de ce constat l’espoir de pouvoir innover en hybridant les meilleurs aspects des pratiques en présentiel et en distanciel. Plusieurs questions se posent alors. L’hybridation de plusieurs logiques d’action installe les organisations et les acteurs dans la nécessité de tenir en même temps des exigences qui peuvent se révéler peu compatibles et énergivores. Les acteurs peuvent-ils être dans l’invention permanente ? D’une part, l’énergie développée en situation exceptionnelle est rarement durable. D’autre part, ce qui a fonctionné en situation de crise est-il adapté quand une nouvelle normalité s’installe ? Enfin, installer des inventions dans un nouveau modèle d’action ne se décrète pas. Cela suppose qu’une stratégie d’animation de l’innovation se mette en place pour permettre l’adaptation des inventions à leur nouveau contexte. Les organisations de travail sont-elles prêtes à faire face à ce défi et à quelles conditions ?

Minutage des différentes parties dans la vidéo de la conférence (accessible par le lien en début d'article)

6 mn 25 s : Introduction

12 mn 10 s : I. Méthode de construction de cette conférence 

16 mn 35 : II. Des initiatives convergentes 

21 mn 14 s : III. Une enquête pragmatiste généralisée

29 mn 26 s : IV. Les limites de l’extrapolation d’initiatives exceptionnelles

38 mn 29 s : V. Les enjeux éthiques et politiques de l’innovation

49 mn 58 s : VI. Pas d’innovation sans transaction sociale et sans hybridation

56 mn 14 s : Conclusion

Quelques extraits, partie par partie, pour vous donner une idée du contenu 

6 mn 25 s : Introduction

La crise sanitaire et le confinement du 1er semestre, et le retour de celui-ci, ont bousculé et bousculent nombre de nos certitudes et ont ébranlé nos organisations sociales, politiques, économiques. Des hiérarchies bien établies depuis une cinquantaine d’années, voire plus, en ont été remises en cause. Les critères de bonne gestion semblent passer bien après la santé et le prendre soin. Les « premiers de corvées » ont été valorisés en lieu et place des « premiers de cordées », même si cette valorisation dans les mots semble avoir des difficultés à se traduire dans les faits, pour certains d’entre eux au moins pour l’instant.
Ces ébranlements et ces remises en cause ont été telles que beaucoup, le président de la république française au premier chef, considèrent que nous avons l’impérieux devoir d’en tirer des leçons pour nous réinventer, afin de construire ce qu’on s’est mis à nommer le monde d’après. Mais les acteurs de nos sociétés ont-ils attendu qu’advienne le monde d’après pour se réinventer ou, tout au moins, tenter de le faire ? Une observation superficielle des initiatives de nombre d’entre eux, d’entre nous, laisse penser que de nombreuses tentatives de réinventions caractérisent les réactions des acteurs sociaux à cette crise.

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12 mn 10 s : I. Méthode de construction de cette conférence 

Tout d’abord, pour construire cette conférence et fonder mes propos a minima, nous avons convenu avec les organisatrices de la méthode suivante.
1. Réalisation d’une mini-enquête exploratoire auprès des organisations qui contribuent à la saison des expérimentations et des innovations solidaires 20/21 pour dépasser les seules impressions, avec un questionnaire ouvert qui nous a été retourné courant septembre :
Qu’est-ce que la période COVID 19 a empêché ou fait naître chez vous comme questionnement ou chantier de travail principal ? (Création ou modification d’un projet, changement des relations de travail, lien avec les publics et/ou les bénévoles, dynamique de réseau, modifications de vos pratiques professionnelles, …)
10 structures représentant des domaines d’action et des statuts très divers ont participé.

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16 mn 35 : II. Des initiatives convergentes 

Tout d’abord, on peut noter, dans ce dont témoignent les acteurs dans la micro-enquête que nous avons menée, une adaptation rapide et générale des pratiques et des organisations face à l’accentuation de l’isolement de certains publics et devant la réduction, la suspension ou l’arrêt des accompagnements habituels.

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21 mn 14 s : III. Une enquête pragmatiste généralisée

Tout d’abord, constatons que ces nombreuses initiatives convergentes correspondent à un grand classique : quand des acteurs sont empêchés de faire leur travail en raison soit de contraintes, soit d’évènements exceptionnels, ou quand leurs routines ne fonctionnent plus, ils tentent des pratiques alternatives pour faire leur travail d’une manière qui répond à leurs yeux aux enjeux de la situation.
Ces pratiques alternatives sont souvent l’occasion de surprises, de découvertes d’effets ou de processus auxquels les acteurs ne s’attendaient pas, qui les amènent à envisager autrement la conduite de leurs actions.

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29 mn 26 s : IV. Les limites de l’extrapolation d’initiatives exceptionnelles

La prise en compte de la littérature invite à prendre garde à ne pas tirer trop vite des leçons, à ne pas extrapoler trop vite et imaginer l’avenir à partir de ce qui s’est passé pendant l’épisode du confinement.
En effet, dans une situation exceptionnelle, les acteurs sociaux sont capables de comportements eux aussi exceptionnels, ce qui est moins le cas dans une situation plus habituelle.

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38 mn 29 s : V. Les enjeux éthiques et politiques de l’innovation

Ce qui commence à apparaitre avec ces derniers développements, c’est que les processus d’innovation ne sont pas exempts de paradoxes et d’ambivalences. Pour bien comprendre ce qui est en jeu ici, il est nécessaire de se rappeler le processus sociétal auquel participe la valorisation de l’innovation que nous connaissons depuis quelques décennies, sinon quelques siècles. Cette valorisation de l’innovation se traduit très concrètement de nos jours par des dispositifs visant à les repérer ou les promouvoir. Je ne prendrai pour seul exemple que le groupe de travail sur les pratiques émergentes du Haut conseil du travail social en France.
Ce qui fonde la mutation de société que notre civilisation connait à l’ère moderne et dont la mise en question actuelle montre qu’elle est toujours au coeur des débats, c’est l’idée que l’humanité n’est pas condamnée à subir des problèmes ancestraux, à reproduire sans cesse les mêmes schémas mais qu’au contraire, elle peut, par la réflexion, par le recours à la science, par les expérimentations, par le débat démocratique, dépasser les schémas antérieurs, qu’elle peut progresser, qu’elle peut faire mieux en découvrant de nouvelles manières de faire.

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49 mn 58 s : VI. Pas d’innovation sans transaction sociale et sans hybridation

Un premier auteur est particulièrement éclairant sur ces questions, le sociologue français Norbert Alter avec son analyse des processus d’’innovation. Je vous propose de vous le présenter sous la forme d’un schéma.
Cinq étapes caractérisent le processus de l’innovation.

[...]

Une telle dynamique n’est en rien un processus linéaire où une découverte s’imposerait sous le sceau de l’évidence à l’ensemble des acteurs. Une invention est toujours une option prise par un acteur dans un contexte. D’une part, il y a toujours d’autres options qui présentent chacune des avantages et des inconvénients. D’autre part, l’option développée par un acteur ne prendra pas forcément sens ou se révèlera inadaptée pour un autre acteur ou dans un autre contexte. Toute initiative révèle des enjeux pluriels, des paradoxes, des dilemmes et, de ce fait, ouvre ou réactive des débats.
Un processus d’innovation passe alors par le développement de délibérations intersubjectives pour mettre au travail ces enjeux, paradoxes, dilemmes et aboutir à des choix collectifs qui prennent plus souvent la forme de compromis que d’accords véritables. C’est ce que le sociologue belge Jean Remy appelle une transaction sociale. Ce concept vise à rendre compte du fait que les acteurs sociaux, lorsqu’ils agissent, sont conduits à transiger entre des options différentes et à construire ainsi un monde social provisoire, entre conflit et coopération.

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56 mn 14 s : Conclusion

En résumé, j’ai tenté de montrer dans cette conférence, dans les limites d’informations fragmentaires et à consolider, que de nombreuses initiatives convergentes se sont manifestées par un passage rapide au distanciel permettant que les organisations poursuivent leurs actions d’une manière adaptée au contexte de la crise sanitaire. Ces adaptations ont été conduites de manière pragmatique et collective, en embarquant de nombreux acteurs, au sein des organisations de travail comme en réseau. Cela m’a conduit à poser la question suivante : le fait que beaucoup aient contribué à ces initiatives et que des possibles inattendus aient été repérés peut-il conduire à envisager de pérenniser ces pratiques renouvelées ?
En m’appuyant sur la littérature produite sur ces phénomènes, j’ai mis en garde contre le risque d’une extrapolation trop rapide conduisant à imaginer l’avenir à partir de ce qui s’est passé pendant l’épisode du confinement. J’ai développé l’argument que, dans une situation exceptionnelle, les acteurs sociaux sont capables de comportements exceptionnels, ce qui est moins le cas dans une situation plus habituelle. J’ai rappelé que la routine est nécessaire pour créer les conditions de l’innovation et que les initiatives prises pendant le confinement négligeaient peut-être certaines des routines qui se développent habituellement.
Cela m’a permis d’avancer que les processus d’innovation ne sont pas exempts de paradoxes et d’ambivalences. C’est la raison pour laquelle ils peuvent d’autant mieux se développer s’ils permettent de mettre au travail les dilemmes de l’action, les épreuves de professionnalités, comme le dit Bertrand Ravon, interroger l’efficacité des différentes options et embarquer les acteurs concernés dans un processus de délibérations intersubjectives.
Les apports de Norbert Alter m’ont permis d’identifier les étapes de l’innovation qui ne s’arrêtent pas à la phase de l’émergence de pratiques renouvelées mais supposent des processus d’appropriation, d’adaptation, de communication et d’institutionnalisation des pratiques émergentes. Ces processus construisent des espaces de débats et de transaction sociale où, selon Jean Remy, les acteurs transigent entre des options différentes et construisent ainsi un monde social provisoire, entre conflit et coopération. Le management de l’innovation vise alors à permettre d’identifier des débats professionnels et à élaborer avec les collectifs concernés des règles pour construire, en situation, des compromis entre des options diverses.

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Pour conclure, j’ai développé l’analyse, dans mes travaux, et cela est confirmé par d’autres, que l’émergence de pratiques renouvelées, porteurs de logiques d’action tout ou en partie inédites, ne fait pas disparaitre les logiques d’action préexistantes. Au contraire, loin de simplifier le paysage, une pratique renouvelée le complexifie et installe parfois les acteurs sociaux dans des paradoxes.
Nos sociétés sont devenues des sociétés d’hybridation. Nous vivons dans un monde métissé où la metis, au sens grec, le bricolage inventif en situation d’action, est requise. Cela déstabilise les repères, rend les actions moins lisibles, insécurise certains.

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